J’ai joué : Cœur Synthétique

Coeur Synthétique, en tant que joueur, février 2024 à l’association la Boîte à Chimères.

C’était un crash-test pour son auteur Valentin T. , qui faisait jouer pour la première fois ce jeu de rôle cyberpunk pour plusieurs joueurs après quelques parties un MJ / un PJ.

Le jeu en quelques mots

Valentin nous offre un dispositif très traditionnel avec un écran de jeu et le décorum du MJ « interface avec l’univers ». Il a préparé du matos à manipuler, sous forme de cartes de matériel (équipement, cyberware, software…) et même de billets de banque. Le jeu était motorisé sur le modèle statistique des PbtA (2d6 + des trucs et une échelle 6- / 7-9 / 10+), mais assez freeform (pas de moves prédéfinis). Comme souvent avec ce genre de motorisation, ça pulse et la résolution va à l’unisson de la narration.

On était sur un univers cyberpunk très archétypal sur un jeu à mission où on jouait des loosers endettés jusqu’au cou prêts à faire usage de la violence pour s’en sortir.

Je ne vais pas trop parler du jeu lui-même. J’ai trouvé la partie très satisfaisante, mais le jeu est amené à encore évoluer au fil des playtests à venir (il a déjà muté et changé de nom, son auteur le teste maintenant sous le nom de Heartrunner).

Comment le jeu m’a cueilli sans que je m’y attende…

Cette partie m’a fait réaliser plusieurs choses :

1° L’importance de la matérialisation. Le fait d’avoir l’équipement sous forme de cartes et l’argent sous forme de billets renforçait leur importance. On a parfois sur-valorisé l’aspect « théâtre de l’esprit » du jeu de rôle et oublié l’attachement à la feuille de personnage, aux dés, aux cartes géographiques, aux floor plans et aux figurines quand il y en a. Mieux vaut en avoir conscience dans une préparation, que vous soyez auteurice, ou MJ. Ce qui va être sur la table va prendre de l’importance lors du jeu et, plus tard, comme support de souvenir.

2° Loot et progression. Je pensais avoir dépassé depuis longtemps le stade où on me faisait avancer en tant que joueur avec une carotte en récompense. Les XP, la montée de niveau, la quête aux objets magiques, j’étais largement au dessus de ça. Bah non, là, j’ai été cueilli comme un bleu. Je me jetais sur la moindre occasion de gagner quelques creds (ou nuyen ou je sais plus quelle était l’unité) et j’étais prêt à tout pour ne pas laisser passer l’augmentation cybernétique qui allait compléter mon bonhomme. Et le tout alors que la mécanique freeform faisait qu’aucune de ces précieuses augmentations n’avait d’impact mesurable sur les mécaniques.

Faut dire que le jeu avait deux mécaniques malines pour encourager cette frénésie :

  • Les persos définis uniquement par leur équipement, un parti-pris complètement raccord avec l’ultra-capitalisme de l’univers. Tu n’es rien d’autre que ce que tu achètes et consommes.
  • Des cartes d’augmentation sous forme d’occasions à saisir (quitte à s’endetter). Tu n’as que 36 heures pour te procurer ces jambes cybernétiques à un prix défiant toute concurrence !
Tetsuo, Shin’ya Tsukamoto

3° Est-ce moi le monstre ? Corollaire du point précédent : alors que les PNJ étaient plutôt des gens sympas (des humains dans un monde pourri, mais des humains avant tout avec des motivations cohérentes), mon personnage était un espèce de psychopathe détestable, obsédé par la possibilité de gagner en puissance, n’hésitant pas à tuer pour accomplir des missions dont l’intérêt moral n’était pas flagrant. Les mécaniques du jeu et mes envies de joueur avaient fait du perso auquel je m’identifiais un cyber-junkie à l’humanité défaillante, un Gollum ayant tout sacrifié pour son Précieux. Comme le jeu va vite, il ne m’avait fallu qu’une session de moins de 3 heures pour transformer mon personnage en un monstre cybernétisé ayant perdu son humanité.

En sortant de la partie, j’étais à la fois content d’avoir joué et en même temps un peu mal à l’aise de m’être investi dans ce personnage. C’est la deuxième fois que je suis à ce point troublé par ce que j’ai vécu en tant que joueur (la première, c’était à MonsterHearts l’année passée). Est-ce que c’est l’âge ? Une façon de prendre le jeu de rôle plus au sérieux ? Est-ce d’avoir expérimenté et exploré l’aliénation par un nouveau canal ? En tout cas jouer au jeu de rôle arrive encore à me surprendre après 40 ans de pratique et sait remuer des cordes sensibles aussi bien que tout autre media « sérieux »…

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